C’est bien connu, lorsque vous démarrez un investissement, votre interlocuteur financier doit vous faire remplir un profil d’investisseur pour vous conseiller un produit qui peut vous convenir en termes de risque, d’horizon de placement, etc. Cette obligation provient d’une législation européenne MIFID qui s’est affinée au fil du temps. Elle parait ennuyante pour certains, intrusive pour d’autres et raisonnable pour la majorité vu que le but est d’éviter de vous truander. Ha non, pardon, de vous proposer le meilleur produit possible.
Sortez couverts !
La chose est somme toute normale, mais loin d’être parfaite. Elle souffre en effet du même syndrome que celui qui affecte la législation anti-blanchiment, à savoir l’hyper-protection… de l’intermédiaire financier par lui-même. Cela est dû au fait que l’établissement du profil d’investisseur repose sur un principe complètement idiot : on suppose que vous avez tous vos avoirs chez un même interlocuteur ! Ce qui n’arrive évidemment presque jamais à partir du moment où l’on dispose déjà d’un petit capital puisque pour une raison de bon sens apprise de tout temps, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.
Or, le but même de l’établissement d’un profil, ce n’est pas juste d’avoir une idée de votre appréciation d’un risque donné, mais de tracer en plus et de manière assez précise vos situations sociales et patrimoniales. Bref, de voir la globalité de votre maison et pas juste la cuisine ou le salon. Vous n’êtes pas dans le même état d’esprit suivant la pièce où vous vous trouvez ! Mais dans son ensemble, votre maison reflète le caractère subliminal de votre âme, de votre pensée intérieure. Comme c’est bien dit.
Monte dans ta chambre !
Pourtant, si cela fait sens pour vous, la pratique montre que votre banquier A s’arrête au salon et votre assureur B à la chambre à coucher. Parce qu’il est vrai que vous avez demandé un relax au premier et un lit au second. Comme ils ne savent pas ce que votre maison referme, et que vous voulez acheter un meuble, ils s’informent l’un et l’autre de la pièce de destination. L’un vous dira que le lit de 180 x 200 peut aller dans votre chambre de 400 x 500, sans trop s’occuper de savoir s’il y a d’autres meubles déjà et si le teck va jurer avec la tapisserie posée par votre mère. L’autre fera pareil au salon, vous l’aurez compris. Et chacun de considérer que vous ne pourrez pas dépasser le seuil de ces pièces, sous peine de voir son conseil s’envoler dans les airs. Car ne l’oublions pas, établir un profil, c’est passer un marché avec son banquier / assureur qui vous dit : « Je te donne un conseil mais je dois savoir qui tu es et ce que tu veux ».
Ne nions pas la saine logique du postulat. Mais observons qu’après avoir établi le dit profil souvent déterminé en conservateur, défensif, neutre, offensif, agressif, votre intermédiaire ne va vous proposer que des investissements qui ne dépassent pas le niveau du profil déterminé. Donc, si vous avez un profil défensif, le gaillard ne va pas vous orienter vers une Sicav de risque 6 (sur la fameuse échelle de 1 à 7, 1 étant le moins risqué). Admettons. Mais si l’exercice n’est pas affiné, il peut souvent partir en vrille.
Soyez mon obligé…
Imaginons l’exemple suivant. Un client souscrit un produit de branche 23 auprès d’une compagnie et via son courtier, qui a déterminé un profil neutre. S’il a bien fait son boulot, le courtier connaît son client et surtout sa situation globale. Il a conseillé déjà d’autres produits avec et sans risque, ailleurs, pour parvenir à un portefeuille équilibré, c’est-à-dire neutre dans sa globalité, compte tenu du patrimoine de son client. Lequel dispose d’un avoir total estimé à un million. C’est facile, c’est simple, ça fait un peu rêver.
Le courtier a donc estimé que le produit en souscription convenait au portefeuille de son client. Mais c’est une Sicav de risque 5, souscrite pour 10.000 €. Comme l’assureur voit un profil neutre, il dira : « Cette Sicav ne peut être souscrite par le client car on dépasse la norme ». L’assureur se moque de la situation globale qu’il n’a pas, qu’il ne connaît pas et dont il ne veut rien savoir, sauf si elle a été établie sur ses propres documents. Il adapte donc de facto chaque Sicav au profil du client et dresse pour lui une liste de ce qu’il peut ou non acheter. Ainsi, il se protège et arguera en cas de contestation qu’il protège également le client.
…mais pas trop quand même!
Outre que par un mimétisme législatif, on pourrait penser qu’il serait bien utile que pour chaque achat consumériste un peu important (un lit, un frigo, une voiture…), on oblige le vendeur à venir vérifier chez vous s’il peut convenir (*), on notera que l’argument protecteur est malheureusement fallacieux. Car c’est prétendre que pour un profil neutre, un portefeuille composé d’un montant d’un million d’€ en compte épargne et de 10.000 € dans une Sicav de risque 6 n’est pas acceptable, même si le client est d’accord. Or, si le profil influe le risque, alors quelle est le rapport quantifiable entre profil et risque ? Existe-t-il une grille de détermination qui stipule que le portefeuille d’un profil neutre ne peut avoir que des Sicav de risque 4 maximum ? Non, en tout cas, pas à notre connaissance.
Poursuivons jusqu’à l’absurde. Pour protéger un investisseur défensif, ce qui est le but déclaré du profilage, on veut et on va accepter que le client investisse dans des Sicav obligataires de risque maximum 2 ou 3, par exemple car on voudra absolument éviter la volatilité des actions. Pertinent ? Non, si l’on se reporte à 2022. Les taux ont monté en flèche, et les Sicav obligataires se sont cassées la figure de 15 % en moyenne. Comme protection, on aura vu mieux. Et dans le même temps, une Sicav investie en or, de risque 6 ou 7, n’aura subi qu’une perte de 4 % !
Parade
Intrépides jusqu’au bout, les penseurs de la marche à suivre genre « on est au courant, mais on ne peut pas faire autrement » ont trouvé la parade à une inadéquation entre une Sicav présente dans un portefeuille et un profil, selon leurs critères bien entendu. Ils proposent tout bêtement de procéder :
– soit à un arbitrage pour adapter le risque au profil,
– soit de procéder (sans complexe) à une adaptation du profil au risque !
Nous entendons bien que le profil peut effectivement avoir changé au fil du temps (il est d’ailleurs censé être actualisé tous les cinq ans), mais dit comme ça, c’est plutôt idiot.
Bref, pour suivre les ordres de la compagnie (parce que non, ce n’est pas une demande !), le courtier devra procéder à un arbitrage. Et en conséquence, dénaturer le portefeuille équilibré qu’il a établi pour son client, si du moins il a eu l’occasion de faire ce travail comme nous.
On voit dès lors la limite du système dans lequel se sont enfermées les institutions financières. La question est de savoir si le profil indique le niveau maximum qui peut être atteint par chaque ligne du portefeuille OU si le profil détermine un niveau global de risque, et que chaque ligne peut dépasser ce niveau à la hausse ou à la baisse. Nous avions en son temps posé la question à la FSMA et elle rejoignait notre avis : c’est le point 2 qui est d’application ! C’est en effet le plus logique.
Conclusion
Malheureusement, rien de ce qui précède ne changera dans le chef de nos amis banquiers et assureurs tant qu’il n’existera pas une détermination centralisée d’un profil, auquel chaque intervenant autorisé pourrait se référer. C’est une excellente idée, elle est de Ligne Bleue, je vous remercie.
En attendant, nous poursuivons notre métier dans cet esprit : déterminer votre profil et vous proposer un portefeuille équilibré grâce à nos outils uniques et originaux. Profitez-en !
(*) Mais pourquoi diable ne le fait-on pas ? Ha mais, suis-je bête ! Il ne s’agit pas de pognon. Du coup, c’est moins important…